Les Sept Crinières
Fabien était entré dans le bois de pins et scrutait le sol, espérant bien trouver encore à cette saison, quelques cèpes à tête noire qu’il adorait en raison de la fermeté de leur chair.
La forêt était grande et escarpée, mais il connaissait parfaitement les petits coins pour les cueillettes gourmandes. Monté sur sa jument alezane aux longues jambes dorées, les yeux rivés sur les branchages, il n’aperçut pas tout de suite cette masse blanche posée sur un lit de mousse au milieu du sentier, mais la jument marqua une seconde d’hésitation dans son pas et, le cavalier émérite qu’il était, ressentit le léger tressaillement de sa monture.
Sautant à terre, il s’approcha et prit dans ses mains cet étrange découverte tout en regardant autour de lui si il y avait quelqu’un sous les arbres, guettant un éventuel bruit de pas... Personne. Il était évident que ce n’était pas le genre de choses que l’on emportait avec soi pour faire une promenade et encore moins pour chasser ou ramasser des champignons.
Il retourna près de sa jument, prit une couverture à l’arrière de sa selle, l’enveloppa délicatement puis la glissa dans une de ses sacoches latérales. Oubliant pour l’heure le but de sa balade forestière, il sortit du sentier et alla de fermes en fermes montrer sa trouvaille, chaque fois accueilli par les aboiements des chiens signalant son arrivée.
Les fermiers regardèrent tous l’objet avec attention sans pouvoir lui donner le renseignement ni même un seul petit indice.
- « et, … vous l’avez trouvé vraiment sur le sentier ? » dit l’un
- « comme ça, en plein milieu ? C’est un oubli ? » s’étonna l’autre
- « ben, ma foi, …,
on sait pas comment ça peut se faire, mon brave » …
Le soir commençait à descendre doucement et Fabien rentra chez lui, tout penaud, prit dans le buffet de cuisine, le fameux plateau tournant en bois d’olivier que lui avait offert ses enfants pour son anniversaire et y déposa le précieux trésor. Il le fit tourner doucement pour en observer toutes les facettes.
Chaque détail l’émerveillait, la finesse des courbes, les lignes et les volumes, cet équilibre fragile qui donnait le mouvement, comme une danse. Il pouvait lire dans les attitudes choisies, en deviner le caractère, et plus il tournait le plateau, plus il en comprenait le langage.
L’idée lui vint alors d’allumer la lampe trônant derrière lui sur un petit meuble à tiroirs, puis d’éteindre le plafonnier. Les ombres portées sur le mur de la pièce s’animèrent tandis que ses doigts faisaient tourner le socle, encore et encore, donnant vie à sa petite merveille. La nuit le surprit, toujours dans sa cuisine, et tournant son jouet comme un gamin. Il éteignit à regret la lampe magique pour aller dormir, avec dans sa tête la ferme intention d’en trouver le propriétaire.
Son sommeil agité lui fit entrevoir des centaines d’images au milieu des prairies, des hordes de chevaux galopants dans les
plaines, dans les dunes, au milieu du désert, des crinières volant dans le vent et des queues en panache. Il entendit le bruit des sabots sur des sentiers recouverts d’épines, il vit des nuages
de poussières s’élever dans l’air et le matin le trouva bien fatigué après cette folle nuit de rêves et de questions.
Fabien prit rapidement son café, enfila son jean, saisit la couverture et emballa soigneusement son précieux butin. Puis, sautant dans son vieux 4x4, il arpenta les fermes et les villages avoisinants.
Au fil des heures, l’inquiétude grandissait.
Personne, absolument personne, ne semblait avoir la moindre idée sur l’identité de la personne pouvant réaliser un tel travail ! Quelque peu découragé, il aperçut un chemin bordé d’une haie et une vieille bâtisse vers laquelle il se dirigea.
Une vieille femme d’un autre temps donnait à manger à ses poules.
Il descendit de son véhicule pour la énième fois et montra la sculpture d’argile blanche en répétant son histoire invraisemblable.
- « Vous ne voyez pas qui aurait pu créer ceci ? » dit-il, sans espérer vraiment obtenir une information.
La vieille femme mit les mains dans son tablier et tout en se dandinant d’un pied sur l’autre, lui dit presque à voix basse en levant le bras dans une direction :
- « Il y a bien une dame, dans le creux du vallon, là-bas »
- « Oh ! Merci Madame » cria presque Fabien et pour un peu, il l’aurait embrassée.
Le voilà donc repartant à la recherche du fameux vallon. Après avoir tenter de prendre plusieurs chemins qui le menèrent nulle part, il arriva enfin devant un portail blanc. Il l’ouvrit sans hésiter et descendit doucement le chemin.
C’est là qu’il l’aperçut enfin.
Elle était là, au milieu des prés, tout près de ses chevaux, sept crinières blanches semblant jouer autour d’elle dans un carrousel parfaitement orchestré.
Il l’imagina assise devant sa table, les mains pleines d’argile, domptant la matière avec une douceur infinie, mêlant les crinières pour immortaliser ceux qui galopaient autour d’elle chaque jour.
Il y avait beaucoup d’amour, de passion même, dans cette sculpture abandonnée au milieu des bois, sur le sentier forestier. Les chiens étaient venus l’accueillir.
Elle tourna la tête vers lui avec une interrogation dans le regard, puis, abandonnant ses chevaux d’un geste tendre et ferme, leur signifiant que la récréation était terminée, elle se dirigea vers son visiteur.
- « Je suis venu vous rapporter ceci » dit-il, en lui tendant sa sculpture
Leurs regards se croisèrent, l’espace d’un instant, les paroles furent inutiles, chacun ayant lu tout ce qu’il devait savoir dans le regard de l’autre.
- « Je savais que vous viendriez » répondit-elle
Depuis ce fameux jour, le 4x4 est garé dans la cour et, à toutes les saisons, des galops et des rires raisonnent dans le vallon vert. Le vent d’autan transporte l’écho de leur bonheur dans les fermes avoisinantes et chacun aime raconter cette histoire, lors des longues veillées d’hiver.
Fin.